Les invités :  Axel David, directeur de l’USH (Union Sociale pour l’Habitat) des Pays de la Loire      Sébastien Delpont, directeur associé de GreenFlex   — Ont participé à cette table ronde : Guillaume Baumgartner, Directeur régional de setec organisation à Lyon Pascal Ochoa, Directeur du Pôle Développement Energie chez setec organisation Gérald Del Prado, Directeur de l’agence de setec gli à Lyon Cyril Sailly, Directeur général d’Advizeo by setec Laurent Oda, Responsable du développement de setec Monaco — Animation débat : Jérôme Mayet, directeur général de setec bâtiment —

Quel rôle pour l’ingénierie ?

Le secteur du bâtiment représente 43% de l’énergie consommée en France* , loin devant les transports (31,3%), ce qui en fait l’un des domaines clé dans la lutte contre le réchauffement climatique et la transition énergétique.   D’après la loi relative à la transition énergétique pour la croissance verte, l’ensemble des bâtiments du parc immobilier français devra atteindre le niveau basse consommation d’énergie à l’horizon 2050. Le déploiement de la rénovation énergétique à une grande échelle fait partie des ambitions dans le secteur du bâtiment qui semblent tout à fait adaptées pour atteindre cet objectif. La loi prévoit pour cela, un rythme de 500000 rénovations énergétiques par an, à partir de 2017. Les conditions pour atteindre ces objectifs sont-elles réunies, quel rôle l’ingénierie peut-elle jouer pour accompagner ces changements et les rendre possibles ?

Management de l’énergie et optimisation de la conservation des œuvres, Centre Georges Pompidou – Paris, par advizeo by setec

  Le contexte : quels sont les enjeux énergétiques du parc immobilier existant ?

Cyril Sailly : Les enjeux environnementaux et énergétiques sont très importants pour le parc tertiaire. Depuis 2019, la pression réglementaire s’est intensifiée. Le décret tertiaire, oblige toutes les entreprises à réaliser des économies d’énergie, avec un objectif de baisse de 40% par rapport à 2010 d’ici 2030, de 50% en 2040 et de 60% avant 2050. Les organisations seront obligatoirement amenées à mettre en œuvre des actions de rénovation. Les enjeux portent aujourd’hui sur le financement de ces actions. Les Certificats d’Economie d’Energie (CEE) mis en place par l’Etat, comptent parmi les leviers qui pourront contribuer à financer ces rénovations.

Jérôme Mayet : quelques mots sur la rénovation énergétique des logements ?

Pascal Ochoa : Aujourd’hui la recherche de logements plus efficaces d’un point de vue énergétique est un impératif, inscrit dans toutes les politiques environnementales. Ces politiques de rénovation énergétique jouent un rôle important dans la lutte contre la précarité énergétique, dans l’augmentation de la valeur et du confort des logements, dans la santé publique, dans la création d’emplois non délocalisables, dans la lutte contre l’artificialisation des sols… A titre d’exemple, on estime que la construction d’une maison individuelle nécessité 40 fois plus de matériaux que sa rénovation. Les pouvoirs publics en sont conscients. Ils ont fixé des objectifs très ambitieux, 500 000 logements par an doivent être rénovés. Ces objectifs sont loin d’être atteints, les freins sont nombreux. Aujourd’hui, la structuration de l’offre est largement insuffisante, pour atteindre les objectifs, nous devrions doubler le nombre de professionnels dans ce domaine. Nous bénéficions de l’opportunité du Plan de Relance, prévoyant 6,4 milliards d’euros pour la rénovation énergétique des bâtiments. Ces dépenses doivent être engagées d’ici décembre 2022…

Sébastien Delpont : Pour compléter, je tiens à souligner qu’une partie des locataires du parc social se retrouve dans des situations de précarité énergétique très rapidement. Les prix de l’énergie augmentent de 3 à 5% par an depuis plusieurs années. Les ressources des ménages progressent environ de 1% par an. Il y a donc urgence à agir, non seulement pour des raisons climatiques, mais aussi pour lutter contre la précarité énergétique.

Laurent Oda : Ce constat est partagé par la Principauté de Monaco. Le débat est aujourd’hui ouvert, sur l’isolation thermique par l’extérieur. Parmi les priorités, le fuel doit être supprimé d’ici fin 2022, il sera suivi rapidement par le gaz. La Principauté met en place des réseaux de chaleur et de froid urbain.

Jérôme Mayet : Monsieur Delpont, GreenFlex représente la démarche EnergieSprong en France. Pouvez-vous nous expliquer son fonctionnement ?

Sébastien Delpont : Cette démarche part des constats précédemment évoqués. Elle est née en Hollande et signifie «saut énergétique». Il s’agit de trouver une solution pour industrialiser le processus de rénovation énergétique et aider le secteur de la construction à trouver des marges de progrès en abaissant les coûts d’une rénovation énergétique ambitieuse, zéro énergie garantie à terme. Elle s’adresse en premier lieu aux segments de marché les plus adaptés, en commençant par le logement social. Elle a pour objectifs de trouver un équilibre économique, d’imposer un temps court d’intervention, en site occupé, et de privilégier la qualité de vie des occupants. Nous sommes mandatés par les pouvoirs publics en tant qu’intermédiaires entre l’offre et la demande. Nous aidons les AMO, les maîtres d’œuvre, les bailleurs sociaux et les industriels à travailler ensemble. Le principe consiste à activer des leviers nouveaux et atypiques, avec plus de BIM, plus de méthode LEAN et plus de solutions hors site. Cette méthode s’inspire des process qui ont fonctionné dans l’industrie pour les appliquer au BTP. Aux Pays-Bas, le prix de ces rénovations zéro énergie ont ainsi baissé de 50% en 5 ans, grâce aux méthodes EnergieSprong. La transition est plus culturelle que technique, elle nécessite d’intégrer des modules préfabriqués de toitures, de façade et énergétiques, avec moins de fournisseurs industriels. Notre rôle est d’amorcer une dynamique plus large en France, ce qui permet de faire baisser les coûts.

Jérôme Mayet : Monsieur David, pouvez-vous nous présenter la mise en œuvre de cette démarche en Pays de la Loire ?

Axel David : Nous sommes un groupe de bailleurs sociaux en Pays de la Loire, confrontés à des difficultés dans la réhabilitation des parcs de logements. Nous cherchions un modèle qui ait du sens d’un point de vue économique, qui garantisse la performance énergétique sur le long terme et qui préserve les occupants de la hausse des prix de l’énergie. Nous avons trouvé EnergieSprong et commencé à échanger avec leurs équipes en 2018. Nous nous sommes demandé si ces solutions industrialisées fonctionnaient sur notre patrimoine, si le modèle économique était viable et si nous pouvions en faire une filière de construction locale. Nous avons répondu positivement à toutes les questions. setec organisation nous a rejoint en septembre 2020 pour nous aider à construire les différentes étapes du dialogue compétitif. Les équipes de setec organisation nous apportent beaucoup de rigueur et de méthodologie dans ce projet que nous avons mené avec le soutien de la région Pays de la Loire. Au final, 12 organismes ligériens et 2 organismes bretons se sont réunis pour reproduire cette dimension du projet hollandais, facteur clé de sa réussite : la massification. Pour la première fois, 2108 logements seront rénovés, en 5 lots, dans une enveloppe budgétaire compatible avec nos objectifs d’équilibre économique.

Jérome Mayet : le risque face à cette «massification» de la rénovation énergétique n’est-il pas d’aller vers une «ubérisation» de la chaîne de valeur ?

Guillaume Baumgartner : je ne suis pas certain qu’on puisse parler d’ubérisation, mais il est certain qu’il y a un changement de la chaîne de valeur. Nous devons nous y préparer au mieux, que ce soit en tant qu’AMO ou en tant que maîtrise d’œuvre. Sur cet exemple, le challenge est de taille car il y a en effet 14 bailleurs à accompagner. C’est une démarche innovante, nous devons nous acculturer à un nouveau business model avec de nombreux marchés à passer. Nous avons donc choisi de forfaitiser les prix au maximum. Nous devons nous assurer de l’effet volume du marché, nous l’avons donc scindé en deux tranches, une tranche ferme, la conception et une tranche conditionnelle, la réalisation. Comme il y a plus de 2000 logements, nous avons réalisé une stratégie d’échantillonnage et de simplification des solutions techniques. Le marché est réparti en 4 lots, avec un attributaire unique par lot. EnergieSprong s’ouvre à d’autres secteurs, comme l’enseignement. Pour le groupe setec, ces marchés ultra-dynamiques et innovants offrent un véritable potentiel, ils nous ouvrent de belles perspectives pour l’avenir, notamment sur le suivi et l’intelligence de la performance énergétique.

Axel David : Nous avons demandé aux entreprises de nous proposer des solutions pour atteindre des objectifs de performance énergétique, garantis sur 30 ans. Les entreprises ont réalisé des investissements pour pouvoir répondre à ces marchés. Donc nous avons fait le choix d’un mono-attributaire par lot, sachant qu’un lot est un ensemble homogène de logements.

Jérôme Mayet : je vous propose que nous ouvrions le débat à d’autres solutions que l’approche industrielle de la rénovation… Quels sont les points de vue de setec gli et de setec Monaco ?

Gérald del Prado : Effectivement, pour nous, chaque opération de rénovation énergétique est unique. Nous avons par exemple un programme de 200 logements, pour lequel nous cartographions et analysons au mieux l’existant. Nous identifions de nombreux points particuliers à traiter. J’entends la vision de démarche systématique, mais il me semble qu’il reste des problématiques de cas par cas à gérer…

Guillaume Baumgartner : En effet, dans les Pays de la Loire, ils étaient partis sur 16000 logements. Une analyse a permis de déterminer lesquels étaient compatibles avec les méthodes EnergieSprong. Evidemment, ils ne le sont pas tous. Certains bâtiments sont incompatibles avec la démarche d’industrialisation.

Laurent Oda : Je ne connaissais pas la méthode EnergieSprong mais je pense qu’elle peut fonctionner pour les grands ensembles homogènes. A Monaco, nous avons des immeubles plus complexes. Par contre, je trouve que la démarche de priorisation des interventions avec des audits énergétiques est très intéressante.

La maîtrise de la donnée pour piloter la rénovation énergétique   Jérôme Mayet : comment peut-on se servir de la donnée pour prioriser la rénovation?

Cyril Sailly : La partie monitoring des données, développée par Advizeo, peut alimenter le travail stratégique en amont de la segmentation du parc. Nous le voyons dans le tertiaire, où les foncières cherchent de plus en plus à amener leur patrimoine immobilier vers la neutralité carbone. Collecter et analyser des données permet d’établir une stratégie sur l’ensemble du patrimoine et de définir les solutions techniques adaptées. Nous voyons par exemple actuellement que l’arrivée des véhicules électriques va changer la donne dans les consommations énergétiques des bâtiments…

Jérôme Mayet : En synthèse, je dirais que nous avons bien souligné la complémentarité des approches, qui se diversifient pour pouvoir répondre aux nouveaux enjeux. La montée en puissance de la donnée va permettre d’orienter les investissements aux bons endroits. L’ingénierie a un rôle à jouer pour inventer ces nouveaux modèles et accompagner ces nouveaux montages d’opérations. Merci à tous pour vos interventions.

 

Rénovation de logements, méthode EnergieSprong

  *Source : https://www.ecologie.gouv.fr/energie-dans-batiments