Le collectif Europengineers a organisé, sous la houlette de Michel Kahan, un design sprint sur le thème du réemploi, qui s’est déroulé au siège de setec, du 20 au 22 février dernier. Le réemploi dans la construction se pratique déjà, mais pour des éléments de second-œuvre.

L’objectif de ce design sprint était de se mettre en situation de réemployer des matériaux structurels sans les déclasser, c’est-à-dire en les réutilisant en tant que matériau structurel, et identifier quels leviers, quels barrages, quelles difficultés seraient rencontrés. Audrey Zonco, ingénieure chez setec tpi, a soumis l’idée de prendre pour sujet d’étude le réemploi des portiques métalliques de l’usine Thalès, à Guyancourt, et a préparé l’évènement. L’usine Thalès, ex-Thomson, à Guyancourt, fut conçue de 1988 à 1990 par l’architecte Renzo Piano, à l’emplacement d’un ancien aérodrome.

Emblématiques des grands hangars industriels du mouvement high tech en architecture, les bâtiments furent imaginés dans une structure métallique rouge et une toiture courbe faisant la part belle à la lumière naturelle. Leur disposition parallèle, tels les cinq doigts de la main, permettait de nouvelles constructions en fonction des perspectives d’évolution. Inutilisés depuis le déplacement des effectifs de Thalès vers Elancourt en 2008, les bâtiments laisseront finalement leur place à différents projets, dont 1800 logements et la gare du métro Ligne 18. L’Etablissement Public Foncier Ile-de-France (EPF IdF) est chargée du portage foncier de la parcelle, et donc de la démolition des bâtiments, actuellement en cours.

 

Crédit dessin / RPBW   NE-ECO, l’AMO Economie circulaire de l’EPF IdF, s’est chargé du diagnostic ressources de la parcelle, de suggestions de valorisation du second-œuvre, et d’accompagnement pour le recyclage des 20 000 tonnes de béton en nouveaux granulats (essais, mise en relation avec les fabricants de béton).

En revanche, il a été estimé que les métaux déjà étaient valorisés par les déconstructeurs pour leur valeur marchande (valeur usuelle de l’ordre de 50€/tonne de rachat par la fonderie). Ainsi, pour les 400 tonnes de portiques métalliques, c’est direction fonderie et recyclage. D’où l’objet de l’exercice du design sprint, qui vise à simuler comment on aurait pu réemployer ces structures métalliques sans les fondre, et sans les déclasser, pour un ré-emploi immédiat, sans consommation de ressources ni production d’énergie.

Le Design Sprint en collaboration avec Europengineers a donc été organisé chez setec, en prenant ce sujet comme un exercice théorique, support de réflexion. Il s’est déroulé sur deux jours et demi, avec 20 participants, répartis en quatre équipes de cinq personnes, chaque équipe devant concevoir un projet de nouvelle vie pour ces portiques métalliques : nouvel usage, nouveau lieu, nouvelle géométrie ..  Parmi les 20 participants provenant de toute l’Europe (ROD, Basler&Hofmann, Aronsohn, Schüßler-Plan, Salfo, HENN, Buro Happold, Hydea, setec tpi et setec bâtiment), setec a invité également deux collaborateurs de chez T/E/S/S, Cécile Martinet et Jack Suddaby, l’architecte Caterina Cicognani de chez Lina Gotmeh, ainsi que Morgane Moinet, architecte fondateur du studio Remix Remix, spécialiste du réemploi, et filiale de Encore Heureux Architectes.

Les équipes ont commencé par visiter le site, qui leur a été présenté par l’architecte en charge du bâtiment à l’époque de sa construction, Dominique Rat, de l’agence Renzo Piano Building Workshop, accompagné de Yvan Bailly, de l’établissement public foncier d’Ile-de-France (EPF IdF), et de Robin CRES et Guillaume Sigiez, deux collaborateurs de chez Néo-éco.  Après la visite de site, les participants se sont réunis pour dîner au China Club, dans le 12ème arrondissement de Paris, ce qui leur a permis de former les équipes et faire connaissance autour d’une grande tablée. Le lendemain matin, le Design Sprint a commencé. Pendant une demi-journée, de 9h à 13h, les quatre équipes devaient proposer chacune un nouvel usage, une nouvelle géométrie des éléments constituants les portiques métalliques, et penser à un client éventuel pour leur projet.

Par la suite, le jury, composé de Michel Schamp, Michel Kahan, Jean-Bernard Datry, Thomas Millan, Ingrid Bertin, et Philippe Compere, a ensuite délibéré et a choisi les idées à développer. Il n’y a pas eu un seul projet gagnant, mais plutôt des éléments valorisants choisis au sein des différentes équipes.  Parmi ces éléments, la proposition de réemploi sur le site de l’usine, par trois des 4 groupes. Leur argument était que le nouveau village à Guyancourt, créé sur cette parcelle, allait avoir besoin d’équipements collectifs, et donc que la réutilisation sur place pour des équipements comme une salle de sport, une serre pour agriculture urbaine, ou encore des toitures marchés couverts, serait pertinente.

L’autre groupe avait proposé les mêmes usages, mais utilisés dans le cadre des pôles d’interconnexion multimodaux du Grand Paris, dans des structures modulaires qui pourraient transformer des pôles d’échanges en lieux de vie. Finalement, le jury a opté pour deux usages possibles : un auvent de tribune pour les Jeux Olympiques et une green house (serre agricole pour de l’agriculture urbaine). Ces deux idées furent développées dans l’après-midi. Les équipes ont alors été redistribuées en quatre ateliers. Un atelier, animé par Jean-Bernard Datry (setec tpi),devait développer la structure et l’architecture des auvents de tribune. Un autre, animé par Benoît Stehelin (T/E/S/S), la structure et l’architecture de la Green House. Le troisième groupe, animé par Michel Schamp (Aronsohn) et Ingrid Bertin (setec tpi), devait développer le sujet de l’économie circulaire, et un quatrième, animé par Michel Kahan était consacré au marketing et aux arguments de vente d’un tel projet de réemploi.

Avant d’attaquer ces ateliers de développement, des présentations thématiques par des spécialistes ont été effectuées pour l’ensemble des participants. Michel Schamp (Aronsohn) a commencé par présenter le principe de calcul d’un indice de circularité d’un bâtiment. Thomas Millan (LERM) a  ensuite détaillé les objectifs et les étapes du diagnostic structurel sur une structure métallique :

  • Recherche documentaire,
  • Diagnostic sur site (inspection visuelle et mesures in-situ,
  • Tests en laboratoire si besoin.

Dans le cas de l’usine Thalès, les métaux étaient en bon état. Si les charpentes situées en extérieur auraient requis un sablage et une reprise complète du système de peinture anti-corrosion (3 couches), les charpentes intérieures auraient pu se contenter d’un avivage (qui rend la couche existante adhérente) et d’un époxy surface tolérant (peinture que l’on peut appliquer sur fond ancien). Philippe Compère (assurances SMA), a rappelé la différence entre :

– le réemploi : les composants structurels sont réemployés à l’identique et pour le même usage -la réutilisation: les composants structurels sont réemployés à l’identique, mais pour un usage différents (par exemple un poteau deviendrait une poutre)

– le recyclage : les composants structurels sont décomposés jusqu’à obtenir une matière première qui peut servir à re-créer de nouveaux matériaux. Il s’est vu optimiste sur l’assurabilité d’un projet de réemploi ou de réutilisation : à défaut de règlementation ou de standards, si le projet est suffisamment bien documenté (références, diagnostics et méthodologies justifiant les propriétés des matériaux ainsi que la conservation de ces propriétés pendant les phases de déconstruction/reconstruction), il n’y a pas de raison a priori de subir de surprime d’assurance.

Les Assurances se reposent souvent sur l’avis d’un bureau de contrôle, avec lequel il faut donc élaborer le programme du diagnostic. Le dernier jour du design sprint, l’objectif était de pouvoir finaliser un poster qui reprenait l’ensemble des conclusions des 2 jours et qui puisse être présenté à une conférence ou faire l’objet d’un article. Pour cela, les équipes ont rédigé des résumés et ont fait appel à un graphiste.

​ Pour qualifier l’ambiance de ce design sprint, Audrey Zonco parle d’un équilibre parfait entre challenge et bonne humeur, entre apprentissage et échanges, entre contenu et mise en forme. Les participants ont apprécié le dynamisme et la multidisciplinarité des équipes, et ont chacun contribué à la réflexion et à la production d’un livrable en très peu de temps.