Interroger la capacité des villes à faire face aux bouleversements climatiques à venir semble désormais un impératif. Les ingénieurs hydrologues constatent un décalage entre la vitesse de transformation nécessaire des villes pour faire face au changement climatique et la réalité. En cause notamment, l’inertie des organisations verticalisées, des élus locaux souvent confrontés à des injonctions contradictoires et des experts focalisés sur leurs réponses techniques.

Les solutions durables et abordables existent. Comment les rendre désirables ? Comment accélérer leur mise en œuvre ?

 

Le réchauffement climatique en France s’annonce pire que prévu(1). Au cours du XXIe siècle, il pourrait être 50 % plus intense que ce que l’on pensait. C’est le résultat de nouvelles projections sur le climat futur qui viennent d’être réalisées par une équipe du CNRS, de Météo France et du Centre européen de recherche et de formation avancée en calcul scientifique.

Les urbains, représentant la grande majorité de la population française, s’apprêtent donc à souffrir de façon plus fréquente et plus intense des îlots de chaleur, ces zones bétonnées ou goudronnées dans lesquelles les températures estivales restent élevées, même la nuit.

Selon une étude publiée en janvier 2023 dans la revue scientifique The Lancet(2), si la couverture végétale d’une ville pouvait atteindre 30% de sa surface, contre 15% aujourd’hui en moyenne dans nos grandes villes européennes, on pourrait réduire d’un tiers la surmortalité liée aux canicules estivales.

Au-delà du bénéfice thermique, la végétalisation de nos villes participe à réduire la pollution atmosphérique, à améliorer la santé mentale des habitants, à augmenter la biodiversité urbaine et enfin à gérer de façon durable les eaux de pluie. L’avenir est donc à la désimperméabilisation de nos villes.

Cependant, cette végétalisation, beaucoup l’attendent et peu d’entre nous la voient venir. L’apparition ici et là de quelques « plans arbres »(3) cache la forêt des aménagements urbains encore largement minéraux et imperméables, y compris dans des villes particulièrement exposées aux effets du changement climatique.

Cette situation est paradoxale : nous vivons un moment de ruptures et de transitions puissant et pourtant la ville peine à se transformer, du moins à la bonne vitesse. Pourquoi ?

La réponse n’est pas tant technique que culturelle et organisationnelle. Car, à bien y réfléchir, nous sommes encore collectivement attachés aux aménagements « imperméables » synonymes de propreté, d’hygiène et de facilité d’entretien. Et lorsque nous consentons à introduire du végétal, alors nous l’imaginons fleuri, taillé, tondu ; aligné et cerné de belles bordures en granit.

Ce végétal d’ornement qui consomme beaucoup d’eau, d’engrais et de main d’œuvre ne pourra pas être étendu sans grever le budget des collectivités locales. De plus, ce végétal tiré au cordeau n’est pas toujours le plus efficace pour infiltrer l’eau de pluie, pour héberger moineaux et hérissons ou pour apporter ombrage et fraicheur.

Notre regard sur le végétal en ville doit changer. Il doit être plus rustique et plus utile. Pour commencer, il faut comprendre que la gestion de l’eau et du végétal sont interdépendantes : les milliers d’arbres que nous nous apprêtons à planter auront besoin d’eau pour ne pas mourir, notamment en période de restriction d’usage de l’eau potable, et l’eau de pluie aura besoin des arbres et de leurs racines pour s’infiltrer rapidement dans le sol sans créer de désordres hydrauliques en surface. L’eau et le végétal, c’est une association gagnant / gagnant à condition que l’aménagement urbain soit bien conçu.

En la matière, les exemples d’aménagements réussis ne manquent pas : des jardins de pluie en bordure de voirie à Vaulx-en-Velin, des arbres de pluie récupérant l’eau des caniveaux à Lyon, des pavés drainants réalisés à partir de coproduits de la conchyliculture à Caen, …

Ces exemples viennent démontrer que des solutions abordables existent tant d’un point de vue technique qu’économique. Pour autant, cela ne suffit pas à déclencher un véritable mouvement de transformation.

Le principal frein, les ingénieurs l’observent souvent lorsqu’ils réalisent des études techniques pour le compte des agglomérations : les directions de l’urbanisme, de la voirie, des espaces verts et du cycle de l’eau sont trop occupées à gérer le quotidien de leurs services publics respectifs pour engager des réflexions transverses.

En résumé : l’adaptation de nos villes au changement climatique reste difficile car les élus locaux en charge de cette transition se trouvent confrontés aux attentes parfois contradictoires de leur électeurs et aux organisations verticalisées de leur administration.

Face à ce constat qui doit interpeler, les sociétés privées d’ingénierie et de conseil, qui accompagnent au quotidien les collectivités territoriales sur ces questions, ont un rôle majeur à jouer. Pour cela, elles devront rapidement ajouter une bonne dose de sciences humaines à leurs panels de compétences techniques ou alors nous passerons collectivement à côté de l’objectif : éviter que nos villes ne soient invivables en 2050.

 

Sources :

(1) CNRS Le Journal 27/07/2023 https://lejournal.cnrs.fr/articles/le-rechauffement-climatique-en-france-sannonce-pire-que-prevu

(2) The Lancet, 31/01/2023 : Refroidir les villes grâce aux infrastructures vertes urbaines : une évaluation de l’impact sur la santé des villes européennes https://www.thelancet.com/journals/lancet/article/PIIS0140-6736(22)02585-5/fulltext

(3) Dunkerque 10 000 arbres seront plantés, La Roche-sur-Yon Agglomération 100 000 arbres, Paris 170 000 arbres (https://www.paris.fr/pages/l-arbre-a-paris-199), Marseille 200 000 arbres ! …